lundi 7 décembre 2015

L'historien Nicolas Lebourg interviewé par Libération, analyse le succès du Front National aux régionales

Selon l’historien spécialiste de l’extrême droite, «voter pour le Front national représente pour ses électeurs un espoir».


Nicolas Lebourg est historien, chercheur à l’Observatoire des radicalités politiques de la fondation Jean-Jaurès.

Le FN a-t-il réussi son pari ce dimanche soir ?
Oui, le FN a bien réussi son pari, c’est évident. Le Front national a réussi sa mutation avec une ligne très définie, un accent mis sur l’identité française, l’immigration, la sécurité. Ce sont des thèmes qui parlent aux gens. A partir du choc pétrolier de 1973, les populations occidentales ont commencé à comprendre que le monde, ce n’était pas l’Occident et l’Occident a commencé à avoir peur de l’Orient. Certains ont eu une angoisse de l’orientalisation du monde. Cela touche les gens parce que le pétrole, ce n’est plus eux, leurs vêtements ne viennent plus de chez eux… Face à ça, le FN propose l’ordre, la nation, la sécurité, la protection. Alors, évidemment, cela fonctionne. L’inquiétude liée au terrorisme n’a jamais été aussi forte qu’après les attentats du 7 janvier, c’est une peur qui est réelle. Dans le nationalisme, il y a d’un côté «eux, les autres», qui représentent la présence arabo-musulmane, et puis il y a le «nous» qu’il faut préserver. Le FN n’a donc pas, comme on peut le dire, un discours de haine, mais désormais, d’unité. Voter pour l’extrême droite représente pour ses électeurs un changement de vie, un espoir.



Ce vote traduit-il un rejet du politique ?
Non, au contraire, cela ramène les gens aux urnes, en pour et en contre. Ce n’est pas un dégoût de la politique, mais un retour. Et le parti d’extrême droite est devenu un des derniers instruments de l’intégration sociale. C’est devenu une machine à redistribuer les postes. Alors que le PS est trusté par les CSP+ et les diplômés, le FN permet d’intégrer aux postes électifs des gens des classes moyennes et populaires. Les candidats ressemblent donc aux gens, aux électeurs. Le FN n’a pas une vision claire de ce qu’il ferait mais une vision du monde très claire : recréer des liens communautaires entre les nationaux et une amitié nationale très forte.

Quelle conséquence pour la droite et Nicolas Sarkozy ?
Chez Les Républicains, il y a une absence totale d’offre idéologique. La ligne est illisible. Personne ne sait ce que Les Républicains, ni le PS d’ailleurs, veulent faire de la France. Dans son allocution, Nicolas Sarkozy a spécifié que le résultat du premier tour était un message adressé à l’exécutif et aux exécutifs régionaux sortants, bref au PS. Mais le message lui est tout autant adressé. Les régionales montrent à quel point le flou idéologique du sarkozysme est devenu délicat pour Les Républicains. Deux régions le montrent. En Paca, une droite radicalisée est dominée : 42 % pour Marion Maréchal-Le Pen, loin devant Christian Estrosi, qui a des idées proches du FN ; en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Dominique Reynié (LR-UDI-Modem), qui est une copie conforme d’Emmanuel Macron, plafonne sous les 20 % quand Louis Aliot (FN) serait à plus de 30 %. Dans le premier cas, la radicalisation de la droite profite au FN en légitimant le transfert de votes de la droite vers l’extrême droite. Mais, quand la droite ressemble au PS, le FN devient la droite en incarnant le vote utile contre la gauche. Dans les deux cas, LR perd.

Quand Sarkozy avait fait campagne en 2007, avec son «travailler plus pour gagner plus», la ligne était claire mais, cette fois-ci Les Républicains se sont perdus sur des thématiques sociétales inefficaces. Cela ne sert à rien de marcher sur les plates bandes du Front national.

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