vendredi 10 mai 2013

Ah ! Paris ira, Paris ira !

A lire dans Le Monde des Livres du vendredi 10 mai l'article consacré à la sortie du livre La Fabrique du Paris révolutionnaire de l'historien australien David Garrioch. En voici un extrait (j'ai mis quelques passages en gras) :

"L'historien australien David Garrioch montre comment les fortes transformations sociales dans la capitale, au cours du XVIIIe siècle, rendent possible 1789

Il veut comprendre, à l'aide de plongées anthropologiques, démographiques, économiques, sociologiques et culturelles, comment Paris, la ville par excellence de l'Europe monarchique et éclairée, prospère, raffinée, savante, tolérante, est devenue cette capitale intenable, politisée, colérique, perpétuellement en crise, en proie à l'agitation, voire la convulsion, révolutionnaire. Ce n'est pas là une question nouvelle, puisqu'elle est, depuis la Révolution même, au centre des interrogations des historiens sur le mystère de ses origines.

Longtemps, la réponse insistait sur les contrastes : l'excès de luxe, de richesse, de pompe, d'absolutisme engendra son contraire, l'extrémisme de la misère, des tensions sociales, de la colère politique et des révoltes anti-aristocratiques. Plus récemment, on a mis en avant, dans une perspective plus tocquevillienne, l'idée d'une dynamique de l'expansion, d'un radicalisme de l'essor économique portés par une classe moyenne de plus en plus nombreuse, influente, revendiquant l'accès aux biens, aux fonctions, à la culture. C'est précisément cette partie de la population de Paris qui a dirigé la Révolution. 1789 ne serait donc pas une rupture née de la pauvreté, mais du désir légitime de pouvoir d'une nouvelle sociologie parisienne.

[…] L'historien démontre que l'écart entre les riches et les pauvres s'est terriblement creusé à Paris au cours du XVIIIe siècle, engendrant une société aux rivalités explosives. Mais il souligne dans le même temps que l'ensemble de la société parisienne a changé de monde : l'apparition de pratiques sociales, économiques, démographiques nouvelles a touché chacun, déliant les anciennes communautés, sapant les attaches aux piliers traditionnels, confréries, ordres, corps, coutumes, corporations, pour faire naître d'autres solidarités, des changements profonds en matière religieuse, politique, institutionnelle. Une ville est née, largement sécularisée, égalitaire, impliquée dans les idées de progrès, de mérite, de réussite individuelle, mélangée dans ses engouements, ses peurs comme dans ses envies de lectures, de théâtre, de jeux, de plaisirs, mais attachée à l'image fière, indépendante et arrogante qu'elle a collectivement d'elle-même. Une ville d'autant plus révoltée par ses inégalités qu'elle en a désormais pleinement conscience et qu'elle pense avoir les moyens, du moins dans ses rêves fièvreux, d'y mettre fin. La révolution s'est donc déjà faite à Paris avant les échecs des réformes et la convocation des états généraux, qui lancent le processus politique prérévolutionnaire.
Au fil de ces pages portées par une verve narrative efflorescente, David Garrioch montre admirablement comment le peuple de Paris, au sens large, des artisans, domestiques, commerçants de tout et de rien, ce menu fretin de la " vie fragile ", aux classes moyennes, ces bourgeoisies intellectuelles de l'office, de la basoche, avocats, lettrés, journaleux, écrivains, procureurs, médecins, commis, titulaires de charges, employés aux tribunaux et administrations, comment tout ce joli monde ensemble s'active, circule, échange, s'emporte, se mobilise, se cultive.
Il se crée ainsi trois espaces d'expérimentation d'un nouvel agir en commun : l'opinion publique, qui s'arroge le droit de discuter de tout, la politisation à travers les tensions religieuses, notamment autour du jansénisme, et la place grandissante des femmes, qui exercent leur pouvoir en investissant les sphères de l'information, des émotions privées et publiques, de l'éducation, de l'économie du voisinage et des secours aux pauvres.
Ces évolutions, ici mesurées sur la longue durée du siècle, imposent un autre système urbain, une représentation plus globale et collective de la ville. " Là où, disait Louis-Sébastien Mercier dans le Tableau de Paris, tous parlent de tout et où tout est vu par tous. " Ce que l'on peut nommer une nouvelle culture politique métropolitaine.

D'après Antoine de Baecque

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