lundi 5 octobre 2015

L'histoire du temps présent : histoire ou actualité ?

" L'extrême droite fonde son succès sur la peur " est le titre d'une interview de l'historien Nicolas Lebourg,  par le journaliste Olivier Faye et publiée ce lundi dans Le Monde. Ce n'est pas une idée très originale mais cette fois, elle émane d'un historien du temps présent. En quoi ses réponses (rapides ici puisqu'il s'agit d'une courte interview) diffèrent-elles des points de vue des journalistes ? Qu'est-ce qui distingue un historien du temps présent d'un bon journaliste ? La réponse n'est pas forcément évidente.



D'abord, le titre de l'article, même si le journaliste a ajouté des guillemets, est une citation tronquée de l'auteur. Et puis, le propos de l'historien ne peut être réduit à cette idée.

Selon lui, (je cite) : " L'Europe traverse une crise identitaire, une crise culturelle, et de ce point de vue-là le vocabulaire de Marine Le Pen s'appuie sur les peurs. Les migrants ne veulent pas venir en France, mais elle nie cette réalité. Parmi les militants de base, aussi bien au FN que chez Les Républicains, la thématique du grand remplacement a parcouru un certain chemin - théorie complotiste selon laquelle la population blanche et chrétienne serait remplacée par une population musulmane d'origine principalement maghrébine et subsaharienne - .

Jean Delumeau a écrit un livre, La peur en Occident (Fayard, 1978), qui explique qu'au XVIe  siècle la civilisation européenne se focalisait sur la peur de l'autre. Toute la construction politique, sociale, culturelle et architecturale était façonnée par cette peur : on édifiait des murailles autour des villes pour se prémunir d'attaques musulmanes, alors qu'il n'y en avait pas besoin. Depuis quelques années, nous sommes dans la peur en Occident, et en particulier en France.

L'extrême droite fonde son succès sur la peur d'un ennemi intérieur et d'un ennemi extérieur. Pendant la guerre froide, il y avait un même ennemi : le Parti communiste à l'intérieur et Moscou à l'extérieur. C'était très mobilisateur. Depuis son élection à la présidence du FN, en  2011, l'ennemi extérieur de Marine Le Pen est l'Union européenne et l'ennemi intérieur est l'islamisation. Aujourd'hui, avec les migrants venus de Syrie, d'Irak ou d'Erythrée, elle a enfin un ennemi extérieur et un ennemi intérieur qui prennent la même forme."

Quand le journaliste qui mène cette interview pose la question des analogies possibles avec d'autres vagues d'immigration connues par le passé, il répond :

"En  1939, la presse de droite était obsédée à l'idée qu'il y ait des communistes et des anarchistes parmi les immigrés espagnols, qui seraient selon elle venus pour semer le chaos en France. En  1962, la presse de gauche tenait un discours tout aussi dur face aux harkis. L'obsession était de savoir combien de membres du FLN ou de l'OAS allaient arriver parmi eux. Aujourd'hui, nous vivons la même chose avec les islamistes qui viendraient en Europe, cachés parmi les migrants. A chaque fois, il y a la peur de la guerre civile, de la subversion dans la nation, qui est agitée."

Il termine en montrant que quand la droite exploite des thèmes chers à l'extrême droite comme celui de la peur des migrants, l'extrême droite force le trait et confirme ainsi son identité. Il nous dit que "Dans les années 1990, Valéry Giscard d'Estaing avait parlé de la " colonisation " de la France. Deux semaines plus tard, Bruno Mégret lui avait répondu en disant qu'il avait un train de retard, que ce n'était plus une " colonisation " mais une " invasion ". Marine Le Pen appuie très fort aujourd'hui sur l'immigration pour continuer à se tenir en amont des Républicains."

Les réponses de l'historien se réfèrent toujours au passé et ici à une connaissance fine des partis politiques français. L'histoire du temps présent éclaire l'actualité mais elle n'est donc pas de l'actualité. Elle est une mise en perspective, elle apporte des clés de compréhension utiles pour comprendre le monde actuel en se référant au passé. Le rôle d'un bon journaliste sera justement de trouver des sources fiables pour répondre aux questions que se pose la société et pour nous informer correctement. C'est ce qu'a fait le journaliste Olivier Faye dans cette interview.



Note complémentaire : Qui est Nicolas Lebourg ?

Sur le site Fragments pour le temps présent (http://tempspresents.com/contributeurs/nicolas-lebourg/), on apprend que Nicolas Lebourg est Docteur en Histoire, chercheur associé au CEPEL (Centre d’Etudes Politiques de l’Europe Latine) à l'Université de Montpellier. Il est membre de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP, Fondation Jean Jaurès).

Il participe au programme EURFA (European Fascism) dirigé par Marlène Laruelle (George Washington University), au programme IDREA (Internationalisation des Droites Radicales Europe Amériques) de la Maison des Sciences de l’Homme-Lorraine dirigé par Olivier Dard (Université Paris Sorbonne), et au programme Violences et radicalisations militantes en France (Agence Nationale de la Recherche) dirigé par François Audigier (Université de Lorraine).  Il a en charge le séminaire d’histoire culturelle et politique de la HEART.

Au-delà de l’extrême droite, il procède à une histoire des dialectiques Périphérie-Centre, de la manière dont les marges font système, de la violence politique et des velléités de contrôle biopolitique de l’ordre social, de l’ère industrielle à la déconstruction post-moderne.

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