vendredi 16 octobre 2015

Rendez-vous de l'histoire de Blois n°18

A lire dans Le Monde du 17 octobre 2015 (extrait) :

Quand l'histoire globale favorise la revanche des empires



Les empires passent, les mentalités impériales restent. Tel pourrait être le message à retenir de la 18e édition des Rendez-vous de l'Histoire (RDVH) de Blois consacrée aux empires et dont Le Monde est partenaire. Toujours aussi populaire, ce festival de l'Histoire, qui a rassemblé 40  000 visiteurs du 8 au 11  octobre, a ouvert cette année ses portes sur un thème complexe, une "  rencontre entre l'exceptionnel et le général  ", explique Jean-Noël Jeanneney, président du conseil scientifique des RDVH. En effet, comme l'empire n'est pas une catégorie universellement partagée, sa définition reste délicate.
Jamais l'expression "  empire  " n'a autant été utilisée que depuis la fin de la guerre froide en  1991. "  Empires économiques  ""  numériques  ""  médiatiques  " et "  nostalgied'empires  "sont des formules qui rythment notre époque où l'Etat-nation est remis en question. L'empire renvoie à la puissance et à la domination, deux concepts qui trouvent un écho particulier dans un XXIe  siècle mondialisé, lequel ouvre la voie à de nouvelles approches historiques. Résoudre aujourd'hui l'énigme de l'empire nécessite le recours à l'histoire globale. Cela suppose d'inviter les Etats et les sociétés à s'adapter au train de l'histoire mondiale.

De fait, le festival de Blois a été le théâtre d'une offensive en trois temps de l'histoire globale. La leçon inaugurale prononcée par l'un de ses tenants, Serge Gruzinski, spécialiste de l'Amérique latine, a été l'occasion de reconnaître qu'en France on ne pouvait plus faire de l'histoire comme avant. "  Même si l'histoire globale existe depuis deux mille ans, dit-il, l'histoire des empires permet de revisiter l'histoire nationale dans ces nouveaux horizons.  "
Autre poussée d'histoire globale, la ministre de l'éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, est venue défendre les programmes d'histoire , à savoir un compromis entre histoire globale et histoire nationale. Cet "  effort de conciliation  " sera possible, explique-t-elle, si l'on parvient à expliquer l'histoire mondiale en utilisant la France comme fil conducteur ou "  fil de Marianne  ", selon son expression.
inquiétudes légitimesEnfin, après les empires et les nations comme modèles, rappelle Jean-Noël Jeanneney, apparaît une troisième référence toute neuve  : l'Union européenne. Des nations qui ont librement décidé de s'associer en dépit des incertitudes du monde. Comme la mondialisation et les empires ne produisent pas de l'identique mais de la diversité, poursuit-il, le processus d'adaptation de la société et de l'Etat français à la mondialisation suscite des inquiétudes légitimes.

Cette entrée en force dans l'histoire globale soulève cependant quatre défis. Le premier est posé en ces termes  : serons-nous fidèles à "  l'histoire problème  ", comme le souhaite Jean-Noël Jeanneney, ou devons-nous faire allégeance à "  l'histoire récit  ", comme le défend l'écrivain Régis Debray  ? La rigueur ou l'imagination  ? Progresser avec lucidité ou avancer en regardant dans le rétroviseur  ?

D'où le deuxième défi  : dans ce monde où les passions identitaires et les nostalgies impériales renaissent, qui de l'histoire critique ou de l'histoire fable l'emportera, s'interroge Romain Bertrand, spécialiste de l'Indonésie, qui voit dans la seconde l'ectoplasme de l'histoire identitaire, cette conception d'une France éternelle, défendue par le Front national.

Dans ce choc des histoires et des mémoires impériales, la France réussira-t-elle sans repentance, ni condescendance, à affronter les pages sombres de son histoire coloniale, une catégorie sinon méprisée, du moins totalement à la marge dans le monde académique, regrette Pascal Blanchard, rare expert français en études postcoloniales.

Enfin, dernier enjeu, la France parviendra-t-elle, s'interroge le politiste Bertrand Badie, à surmonter les quatre symptômes impériaux qui la caractériseraient  : Paris renoncera-t-elle un jour à sa "  responsabilité particulière  " en Afrique  ? La "  surdimension du militaire, l'interventionnisme tous azimuts et la réinvention de la croisade ou le néoconservatisme à la française  ". Mais si la France n'entre pas en guerre, ne sort-elle pas de l'Histoire  ?
[…]
article de Gaïdz Minassian

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