samedi 12 octobre 2013

"La filière agroalimentaire bretonne en péril"


Le Monde du 12 octobre encore. Un dossier utile sur la crise de l'agroalimentaire breton par la journaliste Laurence Girard. Extraits :

"L'agroalimentaire a longtemps été une des grandes forces de la région Bretagne. Il y est aujourd'hui sinistré. Depuis des mois, la liste des fermetures de sites ne cesse de s'allonger.
La série noire a débuté en juin 2012, avec l'annonce de la faillite du volailler Doux. En juin 2013, c'était le numéro un mondial du saumon, le norvégien Marine Harvest, qui dévoilait un projet de fermeture de deux sites, à Poullaouen, près de Carhaix, dans le Finistère, et à Châteaugiron, en Ille-et-Vilaine.

Vendredi 11 octobre, le couperet est tombé à Lampaul-Guimiliau (Finistère), où l'abattoir de porcs Gad, 850 salariés, va fermer. Plus d'une centaine de postes du groupe, au siège, à Saint-Martin-des-Champs (Finistère) et en Loire-Atlantique, seront aussi sacrifiés. Et la saignée n'est pas terminée. Le volailler Tilly-Sabco, qui emploie près de 400 personnes à Guerlesquin (Finistère), est en fâcheuse posture. " On peut estimer à 3 500 le nombre d'emplois directs menacés dans l'agroalimentaire breton ", déplore Jean-Luc Feillant, du syndicat CFDT Bretagne.
Les difficultés des entreprises recouvrent des réalités contrastées : agressivité commerciale des groupes brésiliens pour les volaillers, concurrence des abattoirs allemands pour le porc, etc. Un point commun cependant : la mondialisation, face à laquelle " des zones comme le Finistère ne sont pas prêtes ", selon Christian Troadec, le maire de Carhaix.
[…]
La saignée se poursuit donc dans l'agroalimentaire breton. La liste des fermetures de sites ne cesse de s'allonger. La série noire a débuté en juin 2012, avec l'annonce de la faillite du volailler Doux. L'entreprise a, depuis, supprimé un millier d'emplois. En juin 2013, c'était au tour du leader mondial du saumon, la société norvégienne Marine Harvest, de dévoiler son projet de fermetures de deux sites. L'un à Poullaouen, près de Carhaix, dans le Finistère, l'autre à Châteaugiron, en Ille-et-Vilaine. Ils devraient fermer au printemps 2014. A la clé, plus de 400 emplois supprimés.
La coopérative Cecab, connue pour sa marque de conserves d'aucy, premier actionnaire de Gad, a aussi prévu la fermeture début 2014 d'une usine de transformation de légumes de sa filiale Boutet-Nicolas, à Rosporden (Finistère). Elle emploie 140 salariés permanents et près de 200 saisonniers. " On peut estimer à 3 500 le nombre d'emplois directs menacés dans l'agroalimentaire breton ", affirme Jean-Luc Feillant, chargé de l'agroalimentaire à la CFDT Bretagne.
D'autres sociétés sont dans une situation financière délicate. A l'instar du concurrent de Doux sur le marché de la volaille exportée, Tilly-Sabco. Il emploie près de 400 personnes à Guerlesquin, dans le Finistère.
Cette longue litanie de fermetures ou de restructurations recouvre des réalités propres à chaque entreprise. Le groupe Doux s'est ainsi retrouvé plombé par une lourde dette, après avoir mené une stratégie aventureuse et dispendieuse d'expansion en Europe mais surtout au Brésil. Le piège financier s'est refermé et le volailler a dû déposer le bilan.
[…]
Le contexte économique général contribue aussi aux difficultés. La crise de la filière porcine, avec l'érosion de la production de cochons en France et la concurrence des abattoirs allemands à faible coût de main-d'oeuvre, n'a pas facilité la tâche de Gad. De même, la décision prise par Bruxelles, en juillet, de stopper net les restitutions, ces aides à l'exportation de poulets dont bénéficiaient Doux et Tilly-Sabco, fragilise les deux entreprises. Doux, qui tente de négocier la sortie du redressement judiciaire, se serait bien passé de cette suppression qui modifie son plan d'affaires. Quant à Tilly-Sabco, il a réduit son activité de moitié et estime ne pas pouvoir tenir au-delà de la fin de l'année dans les conditions actuelles... Les deux sociétés, qui exportent vers l'Arabie saoudite, sont confrontées à une concurrence brésilienne d'autant plus féroce qu'elle bénéficie de la dévaluation du real.
Peut-on parler de crise du " modèle breton " ? " L'agroalimentaire en Bretagne s'est développé dans les années 1960-1970, passant de l'artisanat à l'industrie. Maintenant, une page se tourne. Face à la mondialisation, des zones comme le Finistère ne sont pas prêtes ", affirme Christian Troadec, maire de Carhaix. Il fustige la société Marine Harvest, qui " affiche des bénéfices et préfère investir en Pologne où les salaires sont moins chers "" Ils se conduisent comme des requins ", ajoute-t-il. Sa commune a tout fait pour accueillir le chinois Synutra, qui a signé un accord d'approvisionnement en lait breton auprès de la coopérative Sodiaal et s'apprête à construire deux tours de séchage. M. Troadec milite pour un modèle plus souple et plus réactif avec de plus grands pouvoirs donnés aux régions. " Le vieux carcan de l'Etat français est dépassé ", déclare-t-il.
Le mécontentement contre l'Etat se cristallise dans un front commun d'élus, de salariés comme d'agriculteurs ou de transporteurs pour rejeter l'écotaxe poids lourds en Bretagne. Des manifestations sont prévues, le 12 octobre, sur les lieux d'implantation des portails censés permettre de prélever cette taxe. Le syndicat FGTA-FO a décidé d'une action collective des salariés des entreprises Gad, Doux, Tilly-Sabco et Marine Harvest, le 14 octobre. Il menace de bloquer l'aéroport de Brest. Nadine Hourmant, déléguée FO de Doux, s'interroge " sur le mutisme des pouvoirs publics alors que l'hécatombe continue ".
Le premier ministre Jean-Marc Ayrault, pris à partie par les salariés de ces entreprises et par les éleveurs lors de sa visite au salon Space à Rennes, en septembre, avait annoncé un plan spécifique pour la Bretagne, formalisé d'ici la fin de l'année."

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