mercredi 23 octobre 2013

Les nouveaux défis de la guerre, festival de Blois (2)

Un article du Monde du 23 octobre très utile pour mettre en perspective le thème de la guerre (au coeur de nos programmes) et des nouvelles formes de la guerre.


ANALYSE

les nouveaux défis de la guerre





Le monde change, la guerre aussi. Depuis la fin de la guerre froide en 1991, les conflits opposent de moins en moins les puissances entre elles et se déroulent de plus en plus à l'intérieur des Etats. Penser la guerre était le thème de la 16e édition des Rendez-vous de l'Histoire, organisée du 10 au 13 octobre à Blois, dont Le Monde est partenaire. Guerre d'hier, d'aujourd'hui et de demain, les quatre journées de débats et de conférences ont revisité la notion de conflit sous tous ses angles. A l'issue de cette réflexion, devant un public toujours plus nombreux, un constat s'impose : la mondialisation produit de profondes fractures dont certaines dégénèrent en guerres d'un type nouveau face auxquelles les Etats, en tant que garants de la paix internationale, doivent se préparer et relever plusieurs défis.

Le premier défi est historiographique. Faut-il pour étudier les conflits dépasser le cercle devenu trop étroit des histoires nationales ? A la veille des commémorations de la première guerre mondiale, le débat entre historiens s'emballe. Jusqu'à maintenant, les tenants de l'histoire nationale occupaient le haut du pavé. Mais depuis quelque temps, la discipline historique s'est elle-même ouverte à d'autres approches. Considérant que les conflits actuels sont de nature à impliquer divers acteurs de différents Etats, l'histoire transnationale propose un autre regard sur la guerre, jusqu'à réinterpréter la Grande Guerre sous l'angle global, comme l'a fait non sans audace l'historien américain Jay Winter, dans le dernier ouvrage qu'il a coordonné La Première Guerre mondiale (Tome I, Fayard, 35 € ), paru le 9 octobre.
Le deuxième défi est philosophique puisqu'il a pour enjeu l'opposition entre la vie et la mort. Ravagée par les deux conflits mondiaux, l'Europe ne voulait plus entendre parler de guerre. Au cours de ses différentes interventions, notamment dans sa conférence de clôture, le réalisateur Bertrand Tavernier a mis l'accent sur l'absurdité de certaines décisions prises par les états-majors en 1914-1918 qui se sont traduites par la mort de dizaines de milliers de jeunes Européens considérés comme de la chair à canon. Les traumatismes laissés par les carnages de 1914 comme ceux de 1939-1945 ont engendré dans l'opinion publique européenne un rejet de la guerre, si bien qu'aujourd'hui l'Occident semble récuser la violence, alors que le reste du monde y demeure exposé.
Le troisième défi est sociologique. Les sociétés civiles aspirent à participer au processus de décision du politique, et les conflits les impliquent davantage. Les Etats doivent donc contenir la contestation lors du déclenchement d'une guerre. On l'a vu dans l'examen du dossier syrien. Les opinions publiques opposées à une intervention ont fini par freiner le projet des Occidentaux. Mais qui a vraiment dissuadé Washington et Paris de lancer des raids contre le régime de Bachar Al-Assad ? L'accord russo-américain sur le démantèlement de l'arsenal chimique syrien ou l'hostilité des opinions publiques ? Rien ne dit que ces dernières ont été l'élément déterminant d'une recherche de solution diplomatique à la crise. Le débat reste toutefois ouvert.
Pari démocratique
Un autre défi, militaire cette fois, soulève une question centrale : quelle doctrine les Etats doivent-ils adopter face aux nouvelles formes de guerres ? Selon Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, présent à Blois, pour qu'une intervention armée soit pleinement justifiée, elle doit réunir le triptyque sécurité-moralité-légitimité, qui ne va pas forcément de pair avec la légalité. D'où la revalorisation du concept de " guerre juste " dans le débat stratégique à travers le principe de " responsabilité de protéger ".
Enfin, dernier défi, stratégique celui-là : contre le terrorisme, l'administration Obama veut par exemple opposer aux trois forces traditionnelles que représentent l'armée de terre, l'aviation et la marine, un autre attelage tactique : forces spéciales, drones, cyberguerre. Cette approche née de la mondialisation des risques a poussé les Etats à s'adapter aux nouvelles sources d'insécurité, comme le terrorisme de masse, les mafias et la criminalité sur Internet. Contre ces réseaux, l'Etat ne peut pas mener une action militaire classique. Il doit faire appel à d'autres moyens de défense mais aussi préconiser une autre conception de la sécurité. Ainsi, par exemple, doit-il déléguer là où il intervient militairement une partie de sa logistique à des entreprises militaires privées dans des zones de combats.
Surmonter ces défis, c'est parvenir à créer les conditions d'un monde meilleur où le " vivre ensemble " prend tout son sens. Dans sa conférence inaugurale, le diplomate et historien israélien Elie Barnavi a imaginé les contours d'une solution pour une paix durable : diffuser la démocratie à travers le monde pour éradiquer la guerre. Pour lui, en effet deux démocraties n'entrent jamais en conflit. Ce pari démocratique ne repose pas que sur les épaules des Etats, car guerre et paix ont toujours divisé l'humanité. Un choix d'autant plus difficile aujourd'hui que le monde reste complexe, dangereux et rebelle. " Les rebelles ", justement, seront le thème de la 17e édition des Rendez-vous de Blois, l'an prochain.
par Gaïdz Minassian

Service Débats
minassian@lemonde.fr

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