samedi 12 octobre 2013

"La montée des inégalités remet l'Etat à l'honneur"

A lire toujours dans Le Monde du 12 octobre : "La montée des inégalités remet l'Etat à l'honneur". Les institutions internationales comme le FMI seraient-ils en train de revoir leur stratégie en redonnant du pouvoir aux Etats ? (extraits)


"L'ultra-individualisme serait-il passé de mode ? Les signaux émis par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, naguère adeptes du " consensus de Washington ", décalogue qui a fondé la prééminence du " marché " sur l'Etat, laissent à penser que le collectif pourrait faire son retour. Les bouleversements de la planète sont porteurs de risques, rappelle le " Rapport 2014 sur le développement dans le monde ", publié le 6 octobre par la Banque mondiale : chômage dû aux coups de boutoir de la mondialisation, catastrophes dues au réchauffement climatique, instabilité financière et sociale due à la concurrence acharnée, criminalité due à la pauvreté...
Le rapport de la Banque mondiale constate que " la plupart des individus sont fondamentalement mal placés pour surmonter des chocs importants (la maladie du chef de famille), des chocs systémiques (une crise financière) ou de multiples chocs (une sécheresse suivie d'une poussée des prix alimentaires). La gestion du risque exige une prise de responsabilité collective et la poursuite d'actions concertées aux différents niveaux de la société, depuis les ménages jusqu'à la communauté internationale ".
Conclusion : " Les pouvoirs publics ont un rôle primordial à jouer : assumer la gestion du risque systémique, créer un environnement propice à la mise en oeuvre d'interventions concertées et à l'exercice de la responsabilité collective et apporter un soutien direct aux populations vulnérables. " Il ne faut plus seulement un Etat stratège, mais aussi pompier, gendarme, assistant social et bailleur de fonds suffisamment argenté.
Et c'est là que le FMI a apporté sa contribution, le 9 octobre, en appelant à un alourdissement de la pression fiscale mondiale. Dans son " écran de contrôle budgétaire ", il se livre à un jeu de mots révélateur. Son titre - " Taxing times " - peut être entendu de deux façons. Soit il signifie " des temps difficiles ", soit " le temps de l'impôt ". En fait, les deux interprétations convergent pour exprimer que le Fonds incite à taxer " plus, mieux et plus équitablement ".
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L'explication du revirement
Nicolas Mombrial, directeur de l'ONG Oxfam à Washington, a " dû relire deux fois ce rapport pour être certain d'avoir bien compris ", car le FMI avait habitué à préconiser une réduction des dépenses des Etats plutôt qu'une hausse de leurs recettes. Christine Lagarde, sa directrice générale, a fourni une explication à ce revirement : une fiscalité plus juste " est nécessaire pour trouver un équilibre dans les finances publiques ". Les déficits et les dettes sont tellement béants qu'il faut les boucher au plus vite avec de l'argent sonnant et trébuchant.
Mais il est une autre explication qui dépasse la thérapie financière : les Etats ont besoin de plus de moyens pour contenir la montée des inégalités. Car la vraie plaie de la mondialisation, c'est le fossé qui se creuse entre ses bénéficiaires et ses laissés-pour-compte. Le Prix Nobel Joseph Stiglitz, dans son livre Le Prix de l'inégalité (Les liens qui libèrent, 2012), et François Bourguignon, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, dans La Mondialisation de l'inégalité (Seuil, 2012), ont décrit le phénomène. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié en juillet une étude qui démontre que, aux Etats-Unis comme en France, l'écart s'accroît entre les plus riches et les plus pauvres.
Les causes ? La crise qui augmente le chômage, les progrès techniques qui réservent aux travailleurs très qualifiés les hausses de salaires, la multiplication des temps partiels, le déclin des syndicats. Les conséquences ? Les inégalités perturbent le progrès de la consommation, laminent les classes moyennes, entravent la croissance. Elles provoquent une agitation politique et sociale qui peut déboucher sur une explosion de la criminalité, comme on le constate en Afrique du Sud, au Brésil ou au Mexique.
Le remède ? L'OCDE et de nombreux experts estiment que la redistribution des revenus par les canaux des prestations sociales ou de la gratuité des services publics réduit l'inégalité d'un tiers en moyenne pour la population de ses pays membres. L'augmentation de la pression fiscale sur les plus fortunés présente deux avantages : elle finance cette redistribution tout en tassant les écarts entre les revenus directs.
Si le Danemark est le pays le plus heureux au monde, c'est peut-être aussi parce que les écarts de richesse y sont les plus faibles et la progressivité de l'impôt sur le revenu la plus forte. Dans les illusions des années 2000, on avait un peu oublié que le vivre-ensemble suppose une bonne dose d'efforts collectifs."

faujas@lemonde.fr

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